
Que peut nous apporter le regard d’un ethnologue sur les pratiques des chamanes en Sibérie du Nord ? Des bricoles pas totalement inutiles comme le fait de reconsidérer la séparation traditionnelle opérée dans notre civilisation entre un « réel » socialisé et un « monde imaginaire » individualisé. Il n’est jamais inutile de déblayer ce genre de fausse évidence qui traine depuis l’Antiquité dans cette partie du globe. Ainsi, contrairement à ce qu’on a l’habitude d’entendre dire, l’imagination n’est pas une fuite dans un monde entièrement coupé de la « réalité ». En s’appuyant sur des expériences neuroscientifiques, Charles Stépanoff met en évidence les interactions entre deux formes d’activité complémentaires : se représenter une action par des images mentales et effectuer cette action. On peut en effet observer que l’individu qui imagine une action actionne les même circuits neuronaux que s’il effectuait cette action « en vrai ». On peut par exemple faire des progrès dans l’effectuation d’un geste en s’entrainant en imagination. « L’imagination, écrit l’ethnologue, ne nous projette pas dans un monde irréel, elle constitue au contraire une forme d’interaction avec le monde sur un mode mental qui est complémentaire de nos interactions motrices et qui nous aide à maîtriser et approfondir celles-ci. » Nous expérimentons quotidiennement les usages cognitifs de l’imagination, lorsque par exemple nous effectuons virtuellement un trajet, mais cette partie de l’activité neuronale reste encore largement ignorée dans notre culture en raison de la coupure évoquée plus haut, séparation qui n’existait pas dans les sociétés pratiquant le chamanisme. J’emploie le passé parce que les traditions chamaniques sont (elles aussi) en voie d’extinction. Tout ça pour dire que ce livre est passionnant et que nous en reparlerons probablement.
Je regarde ça. Quelle vie incroyable.
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